Jean Raine ou les brouillons de l’exigence

, par jacques

Stéphan Levy Kuentz (1994) [1]

« Dès que je pense, je pense le contraire. Jamais je n’ai pu penser que du contraire. » Fort de ce paradoxe en forme d’apophtegme, jean Raine a, durant un demi-siècle, accumulé plus d’un millier de textes et poèmes, un archipel de pensée à la dérive partiellement échoué sur les pages de nombreuses revues ou publications. Lié au groupe surréaliste en électron libre, puis élément discret du groupe Cobra, Raine est le poète d’un lyrisme de dérision.

Taillé dans la spontanéité et l’anticonformisme, sa parole puise ses ressources dans une psychopathologie exemptée des contorsions de la respectabilité littéraire. Le poète peut patienter jusqu’au posthume. Pas l’homme. Surgir de soi-même, se franchir. Telle est l’urgence vitale, sombre et cosmique, de ses douloureuses coulisses qui ne tendent nullement vers l’être à envahir que sollicite Michaud, mais vers un être à affranchir de lui-même (…)

La transparence virulente que Raine a choisi d’expérimenter sur son propre cobaye ne vise bien, à long terme, qu’à ébranler le vieil empire de masques qui le prive de l’Autre. Entretenu par le dérèglement méthodique de ses sens qu’en dandy iconoclaste et tragique il provoque volontiers, l’insurgé pratique la dynamique de la volte-face. De féroces tendresses en jubilations baroques, armé d’un rire paraphysique hérité de Jarry (…) dont les éclats éraflent chaque fois peu plus l’ordre du monde, Raine n’a jamais transigé avec la confortable opacité des choses.

Notes

[1Préface. Œuvre poétique 1943-1983 de Jean Raine. Editions de la différence. Paris, 1994.