Sophie Coroller, génération lumineuse

, par jacques

«  On dirait que c’est l’épuisement qui permet d’avancer.  » Sophie Coroller

Il faut s’imaginer, tout au long du XIXe siècle, l’acharnement éreintant, presque suicidaire, d’une prestigieuse lignée d’artistes qui cherchèrent, vaille que vaille, à créer avec un matériau encore insaisissable : la lumière. Leur défi ? Ne plus composer seulement avec des lignes, des couleurs, de la pierre ou de la terre, mais avec une radiance. Turner, et à sa suite les impressionnistes étaient obsédés par ce rêve fou. Rodin, que ce fût dans son atelier ou dans une exposition, frappait le regard avec ses parterres de marbres et de plâtres, d’où jaillissait une blancheur presque aveuglante, selon le témoignage de Rilke. Et c’est d’ailleurs toute la sculpture du XXe siècle qui, en traversant et trouant les volumes, semble modeler l’air et le jour. Quant à Matisse, il déclara sans ambages : « Le tableau doit posséder un pouvoir de génération lumineuse. » Que dire de plus ?

Inventaire

Que Sophie Coroller s’inscrit pleinement dans cette ambition. Elle exploite des moyens d’expression d’une profonde originalité et d’une subtilité sans rapport avec les débauches spectaculaires et agressives de néons, devenus si banals dans la création contemporaine. Ses éléments techniques, énoncés bout à bout, font l’effet d’un inventaire à la Prévert : aluminium, papiers thaïlandais, ardoises, fibres de verre et de carbone, tubes de pyrex, calques de polyester, le tout travaillé à grands renforts de bains végétaux ou de perceuses à mèche de tungstène… Naissent alors, au prix de leur maîtrise et d’un labeur intense, des trames de motifs précis et répétés, volontiers obliques. Ils s’apparentent à des modules de marqueterie et rythment l’espace, dans des gammes de blancs, de gris, de bruns, de noirs. Le format est le plus souvent carré et de taille moyenne. On compte aussi des pièces en reliefs, dont une spirale enveloppant un jonc de biais posé sur un socle de verre, d’une fluidité surnaturelle.

Réseau

La tradition classique de l’art défend la recherche de stabilité. Une œuvre puissante offrirait, dans cette perspective, l’impression d’être immuable, de résister – compacte et insécable – à l’altération des choses. Dans un poème célèbre, Théophile Gautier s’émerveillait ainsi : « « Tout passe. / - L’art robuste / Seul a l’éternité. / Le buste / Survit à la cité. » Les œuvres de Sophie Coroller, en proposant un réseau de motifs rigoureux et très purs, véhiculent elles aussi ce sentiment d’unité consubstantielle. Mais, très vite, elles excèdent ce premier degré pour laisser affleurer une vérité beaucoup plus complexe.

Fragilité

La finesse des composantes, la délicatesse des tracés, la sensation de légèreté, de transparence, de reflet, les miroitements délicats et précieux, semblables aux friselis sur l’eau, racontent plutôt la fragilité de l’univers, sa variabilité et, même, sa caducité latente. Dans une société où la faiblesse est devenue intolérable, où la voix dominante martèle sans cesse qu’il faut être solide, inébranlable, les créations de Sophie Coroller sont comme un contrefeu, nous rappelant à nos aléas et, surtout, à nos nuances. C’est d’autant plus remarquable que cette « effraction » d’un certain « chaos » – selon les mots du metteur en scène Jean-François Peyret – procède d’une harmonie simple et évidente.

Elan

Dans le creuset originel de l’abstraction, au cœur des années 1910, un artiste comme Kasimir Malevitch avait réclamé l’abandon du dessin parce qu’il croyait à un nouvel élan lyrique. Peignant des formes éthérées, il criait : « Voguez ! L’abîme libre blanc, l’infini sont devant vous ! » La teneur presque musicale des œuvres de Sophie Coroller, leur façon de transcender discrètement la matière, invitent de même à l’essor, voire à la vitesse. Et pourquoi pas celle de la lumière…