Présentation

, par jacques

Exposer deux artistes en face-à-face, et deux artistes confirmés, n’est pas si facile. Au premier abord, on peut jouer la carte de la complémentarité, ou bien alors celle de la contradiction. Mais dans les deux cas on n’épuise pas le sujet. Mettre en résonance deux artistes qui ont associé leur destin (Braque et Picasso pour faire simple), c’est immédiatement mettre mieux en lumière ce qui les distingue radicalement. Si l’on confronte deux œuvres situées dans des univers différents, on verra vite apparaître ce qui les réunit, au-delà du temps et de la forme. L’amitié forte qui réunit deux artistes (c’est le cas ici) n’offre pas plus de clé de répartition évidente de la création et de l’émotion.

Ces réflexions me sont venues en organisant l’exposition conjointe Milshtein + Debilly. Lorsque vous viendrez la visiter, ce sera un plaisir de prendre votre avis. Car voici deux artistes que l’on aurait pu mettre au premier regard dans des univers diamétralement opposés et qui pourtant « marchent » incroyablement bien ensemble.

Zwi Milshtein est né en 1934 à Kichinev, à l’époque russe et maintenant moldave. Après une errance en Russie, en Géorgie, en Roumanie et à Chypre, il arrive à 14 ans en Israël et à 22 ans à Paris. Le temps de se construire un univers très personnel, en des temps troubles, à la frontière du monde slave et de la culture juive. Utilisant tous supports, Zwi nous donne à voir « … une population, je devrais dire une peuplade, de personnages caricaturaux, ivrognes, goinfres et libidineux, anguleux et mamelus, grotesques, mesquins, cacochymes... » selon Roger Caillois. Je dirai plutôt pour ma part un casse-tête de joyeuse dérision, légère et drôle, parfois cruelle et grinçante comme chez Goya, mais toujours sauvée du chaos par les femmes d’abord, les chats aussi, l’ivresse en tout cas et un désir toujours renaissant. Pour moi, une œuvre éminemment solaire, merveilleuse, peinte, dessinée, gravée, écrite, jouée par un homme qui parle sa vie.

Jean-Michel Debilly est fait d’une autre matière : les pierres de nos belles provinces. Né en 1964 à Lyon, il a fait tous les métiers de la pierre dans une confrontation silencieuse – presque secrète - avec le dur, le poli, le plein et le creux. Le creux surtout qui devient le sujet même d’une sculpture qui fait son chemin. Son art est construit, formel comme un tableau de Soulages. La lumière s’y cherche – non à la surface – mais dans les profondeurs-mêmes de la matière. Il y a donc une véritable ascèse dans l’œuvre de Debilly : sculptant le vide, il résonne avec la lumière sombre des corridors silencieux, le reflet bleuté des cavernes secrètes, le grouillement organique des érosions du marbre ou de la chair. Son art est fait d’intériorité, de sobriété, d’équilibre et de mystère. Un art lunaire taillé par un homme qui ausculte, écoute la profondeur des choses.

Ces deux œuvres se parlent et nous parlent : juxtaposées, en allant de l’une à l’autre, elles nous obligent à affermir nos choix esthétiques. Lumière de l’ombre dans un cas. Ombre de la lumière dans l’autre. Par où commencer ? Dans les deux cas, ce ne sont pas de simples jeux de miroir, ni des jeux d’enfants si à la mode dans l’art d’aujourd’hui, mais bien des outils pour aiguiser notre regard et penser la vie.

Jacques Fabry

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