Avec force je rejetterai comme sans fondement l’hypothèse de la mort (Antoine Volodine)
Gérard Mathie construit son œuvre entre et avec la mort et la vie qui ne sont pas des entités séparées mais deux processus imbriqués l’un dans l’autre. Ce qui le préoccupe, ce n’est donc pas tant la mort à son point M qui, fatalement, le propulsera dans le rien absolu, que la mort insidieuse au travail exerçant au cœur même de la vie ses forces mortifères sur le corps et le psychisme. Conscient de son statut d’être mortel dans sa fragilité ontologique, et conscient de son être artiste dans la puissance plastique de ses artifices et de ses effets, il en fait une double expérience existentielle et esthétique : jonglant avec des lignes de mort et de vie entre forces mortifères et vitales, entre vérités crues et fictions sophistiquées, il tire des lignes de chance créatrices de son œuvre. Créer, c’est résister à la mort et au temps par une énergétique physique et libidinale du désir opératoire et selon la logique spéciale d’un athlétisme mental dont la pensée acrobatique infra matériologique est sans fadaises métaphysiques. Ainsi, ignorant les états d’âme éthérés, mystiques ou extatiques, l’artiste active stratégiquement et pragmatiquement les forces expressives d’une poétique concrète du corps désirant et des choses sensibles. Techniquement et stylistiquement, c’est pictural, graphique, linguistique, numérique, photographique, vidéographique, scénographique, érotique, poétique, tragique, humoristique avec dictionnaires, images, épingles, mouches, corps, crânes… Créer, pour Mathie, c’est vivre excessivement l’agir esthétique dans le geste minimal de mourir. Alors, de l’autre côté des voix silanxieuses, l’œuvre s’exonère de la mort. Et si les crânes sont les signes de sa présence, son travail est suspendu : leur effet contrapuntique de vanités participe à renforcer les passages de vie intense. Aucun arrêt de mort n’adviendra, car l’œuvre dans l’inorganicité de sa dimension esthétique atemporelle est une zone où mourir est impossible. C’est une machine miraculante qui double dans sa grande santé inorganique la santé précaire du corps organique pris dans le temps matériel de la chair putrescible que taraude la mort. Oui, mourir ici est impossible, sans cesse le corps, dans la lumière physique de son éclatante nudité, le clame…
Joël Couve, novembre 2017