Toute photographie, aussi simple et « réaliste » soit-elle, est mise scène. Il suffit de regarder à travers un objectif pour s’en persuader. Et les artistes qui utilisent les procédés photographiques, sont les maîtres d’œuvre, les magiciens de cette mise en scène.
J’ai bien dit les artistes, ne suivant pas en cela l’avis de Baudelaire qui annonce imprudemment que la photographie sera « l’ennemi mortel de l’art », ni celui de Ruskin encore plus négatif. Or par la richesse de son histoire, la variété de ses expressions, les émotions qu’elle procure, et jusqu’au prix élevé qu’elle obtient sur le marché, la photographie est aujourd’hui entrée de plein pied dans le monde de l’art. Les collectionneurs ne s’y trompent pas.
Quand Daguerre faisait savoir en janvier 1839 qu’il avait réussi à fixer l’image d’une camera obscura, il ne se doutait sans doute pas qu’il allait révolutionner l’art en introduisant une nouvelle manière de voir le monde, de le comprendre et parfois de le changer. Une formidable aventure humaine allait commencer avec ses créateurs, ses époques, ses ruptures… Une histoire non rectiligne qui fut avant tout une tension entre la recherche de la réalité (mais où est-elle ?) et l’expression d’un imaginaire (mais d’où vient-il ?).
N’est-ce pas entre ces deux pôles - réalité/imaginaire - que se déploie l’art de la photographie ? Depuis le réalisme initial, vite challengé par le picturalisme et le symbolisme, avant l’émergence des avant-gardes dadaïstes et surréalistes, du futurisme, puis le riche « mouvement » moderniste et humaniste. Voici maintenant une tendance que l’on peut appeler « post-moderne » faute de mieux, très hétérogène mais qui fait davantage place à la subjectivité, aux concepts, et se rapproche soit de l’abstraction, soit à de la mise en scène, voire de la narration.
S’ils ne se reconnaissent dans aucune école particulière, les artistes présentés au mois de juin à la Collection de la Praye relèvent de cette dernière mouvance contemporaine. Revisitant le picturalisme du XIXème et intégrant les leçons des avant-gardes, ils reconstruisent une réalité virtuelle, produit de leur imagination ou de leurs rêves ou de leurs approches théoriques, un univers délibérément détaché de la simple « réalité », tout en puisant dans les images les plus sensibles du réel : femmes, fleurs, jouets, ossements, fluides, feu…
Jacques Fabry
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