C’est par hasard que j’ai découvert la sculpture de Serge Landois, en son absence, il y a quelques années, en pleine nature, devant un hangar cerné d’arbres et de buissons, près du village de Foncegrive, non loin des bords de la Venelle, en Côte d’Or :
Aussitôt, l’accord inattendu des couleurs complémentaires —les rousseurs de l’acier mariées au vert des feuillages— m’ont étonné et séduit. La légèreté, l’élégance et la délicatesse des formes ont retenu longuement mon attention.
J’ai d’abord pensé, pour l’élégance et une certaine forme d’humour, au grand sculpteur abstrait David Smith, mais ce rapprochement ne saurait être réducteur : La singularité de Serge Landois est telle qu’il est impossible de rabattre son œuvre sur un modèle antérieur.
Une poétique de l’espace
L’artiste donne à ses pièces des titres qui semblent relever de la figuration (« pagode », « palétuvier », « ondine » …) mais dès que l’on regarde les œuvres, il est évident que ces allusions thématiques et figuratives sont un effet ironique de nomination réalisé après coup. Les formes sont fondamentalement anomiques, ou plutôt elles relèvent d’une structuration abstraite du chaos.
Autrement dit, les formes inventées par Serge Landois sont en elles-mêmes signe et sens, écriture et poésie spatiale. Elles n’ont pas besoin du langage pour exister dans l’espace. Chaque pièce est comparable à un idéogramme volumineux, en trois dimensions, dont le sens esthétique demeure autoréférentiel. Les titres ajoutent seulement à cette poésie spatiale une pointe d’humour, une finition, une finesse…
Élégance ? Poétique de l’espace ? Essayons de préciser. Une des pièces reproduites dans ce catalogue se nomme « L’Attraction ». Le mot suggère à la fois un objet de curiosité, voire un jeu, et les forces physiques d’attraction. Dans ce cas précis, l’aspect physique domine, dans la mesure où les fragments disjoints d’un chaos métallique semblent arrachés à la pesanteur.
Le concept d’attraction pourrait s’appliquer à toutes les pièces de Serge Landois, mais pas dans le sens trivial auquel cèdent beaucoup d’artistes qui croient bien faire en figurant l’élan vertical, l’élévation à l’encontre de la pesanteur à laquelle sont soumis tous les corps…
Serge Landois ne cherche pas à nier la pesanteur mais l’apprivoise et ruse avec elle. Il joue avec le déséquilibre, stabilise des formes instables et savamment décentrées, dispose dans l’espace des volumes en porte-à-faux.
Il en résulte des structures dont on ne sait jamais si la position qui leur est assignée précède une chute ou un envol, si leur mouvement est projection ou retrait, rotation ou repli.
Tout demeure dans la fragilité d’une indécision ; les lignes les plus hardies menacent de changer de trajectoire. Cette instabilité est délicieuse, car elle s’accorde avec la densité du métal, en accepte le poids et flatte sa plénitude. On regarde, on attend… On se dit : Cela va bouger, cela pourrait tomber ou s’élever… Et plus ce sentiment s’aiguise plus l’œuvre maintient son équilibre fragile, son affirmation sereine et tranquille.
Les déchets métalliques, relevés magiquement de leur déchéance, deviennent les acteurs mobiles-immobiles d’un ballet optique. Cette subtile démarche me fait penser aux merveilleux attracteurs étranges de la géométrie moderne : Il y a une loi secrète de composition, une équation ; on fait bouger une variable et le chaos s’organise, devenant harmonie. Mais l’équation secrète de Serge n’est pas mathématique ; elle est intuitive et sensible.
La peau du métal
Par un mélange alchimique de vernis et de blanc de Meudon, Serge Landois offre à l’acier une peau vivante dont la blancheur, la matité, les transparences, les tonalités ocres et crème, les fines plissures suggèrent un épiderme… La peau d’un être symbolique dont la nature défie la séparation entre l’inerte et le vivant.
Le sculpteur n’est pas en quête d’une forme de mimétisme avec le monde animal ou humain. Quand on regarde — avec délices— cette peau claire, le métal s’allège sous nos yeux, redevient ductile et souple, fragile comme une chair vive proche de la mue, vibrant à peine sous son enveloppe, son exuvie devenue translucide… Nous sommes en présence d’une transmutation simple mais surprenante de l’acier, sous le pinceau du sculpteur devenu peintre.
Cette contradiction visuelle, tactile, entre la pesante rigueur du métal et la douceur de la patine blanche confère aux œuvres de Serge Landois une fragilité exquise.
Le fait que les surfaces de l’acier, non départies de la rouille et des traces d’anciennes couleurs, soient soumises à une approche de type pictural renforce le caractère poétique et idéographique des œuvres. La peau du métal pourrait à son tour se muer en papier, en étoffe, en cerf-volant paradoxal et s’envoler au moindre souffle avant de choir plus loin, de changer symboliquement de forme… puis de reprendre sa place initiale, protectrice, tel un vêtement de rêve.
C’est pourquoi les sculptures de Serge Landois semblent se mouvoir dès qu’on les regarde, bouger sans changer de place : elles sont en instance de mouvement.
J’offre à Serge Landois ces mots du poète Malcolm de Chazal (Sens-Plastique, 1948) : « Le mouvement gonfle la matière, comme l’air le ballon. Barre d’acier en mouvement se boursoufle par son côté le plus mobile… »
François DOMINIQUE