Ogni dipintore dipinge se
La Renaissance italienne a magistralement placé l’artiste au cœur même de sa création : tout artiste se peint lui-même, quoi qu’il fasse, quoi qu’il dise. L’autoportrait va plus loin encore : il n’est pas déraisonnable d’y voir la forme la plus personnelle de l’expression artistique. A la fois l’occasion de s’analyser et de se représenter, voire de se promouvoir. L’interprétation d’un autoportrait est donc complexe d’autant que les possibilités d’autoreprésentation sont infinies.
Dans l’histoire, les peintres se sont longtemps représentés de façon plutôt modeste et tangentielle. Tintoret se place en 1547 dans le coin gauche du Miracle de l’esclave (Académie, Venise) : il observe la scène d’un air curieusement distant, presque désabusé, peut-être rieur, mais c’est une vraie signature. Encore au début du XVIIIème, Giambattista Tiepolo et son fils se cachent dans les volutes du plafond de l’escalier monumental de la Résidence de Würzburg. De là ils observent tout. Les exemples d’autoportrait à la dérobade, plus ou moins clandestins, sont nombreux. En regard d’autres s’exposent avec plus de passion.
Le Titien, Velasquez, Le Caravage sous différents déguisements, et bien sûr Rembrandt depuis le plus jeune âge jusqu’à la mort. On peut analyser l’histoire de l’art et surement celle de chaque artiste par le prisme de cette mise en scène personnelle.
Rituel de passage du jeune artiste ou testament d’un plus ancien, l’autoportrait doit d’abord quelque chose à la passion de créer mais l’enjeu est ici plus violent : il faut aussi se donner (et donner aux autres) une image de soi-même conforme à sa conscience de soi et à sa vision du monde, tout en labourant son style propre.
Les autoportraits réunis à la Collection de la Praye représentent un échantillon assez démonstratif des solutions qu’un artiste trouve lorsqu’il se confronte à lui-même : recherche de la nature humaine dans le détail vrai, émergence de la figure à travers des magma organiques, utilisation de masques divers qui donnent tout à voir, projections violentes sur la toile ou le papier de ce qui est l’essence d’une existence… jeu de miroir, jeu de bonheur, jeu de souffrance, mais jeu de vérité.
Jacques Fabry