Le portrait ? Toute l’âme du peintre mise à nue.
C’est une clef de voûte essentielle qui lui permet de rentrer dans l’intériorité du modèle, même jusque dans son intimité. Un moyen efficace de scruter l’âme de l’autre. Mais la difficulté est périlleuse ! En quelques traits rapides le portrait doit imposer une personnalité, décrire ses sentiments et dissèquer tout son être ! Taillé à grands coups de hache, le portrait détient à lui seul toute l’histoire de celui qui est choisi pour être célébré. On n’est rien sans les autres et faire le portrait d’autrui c’est déjà admettre un début de société. L’autre oblige à prendre position, à faire des choix en fonction de soi, mais aussi en rapport à lui ! Passionnante aventure que ce tutoiement d’un semblable, qui n’est -Dieu merci- en aucun cas pareil au moule reconnu. Sous son ossature et dans sa matérialité charnelle, malgré les traits de ressemblance, l’homme n’est pas un clône de lui-même ! C’est ce qui fait à la fois son charme mais aussi toute la difficulté de la reconnaissance. « La richesse est dans la diversité » bien sûr le peintre fait sienne cette loi évidente si juste et applicable à l’infini. Ainsi les peintres très souvent attirés par les visages n’ont d’autres alternatives que de scruter et de dévisager le modèle qui pose. Et quelque puisse être la forme de beauté en face de soi, c’est sans nul doute l’universalité de la création qui est saluée en chacun. Un portrait réussi est unique pour deux raisons, parce qu’il désigne telle personne à part entière, mais aussi parce qu’il décrit en chacun, dans sa généralité, l’uniformisation de l’humanité.
Que dire alors de ce miroir qu’est le tableau de la folie puissante (et vaudou) d’un Joseph Camara ? Comment ne pas se perdre dans les dédales des visages expressionisants et cubisants de Robert Düran disséqués quasiment au scalpel ? Comment ne pas lever le voile du corps mis a nu dans ses qualités charnelles pour enfin découvrir l’âme de la chair omniprésente dans les visages peints « à cru » de Gérard Gasquet ? Ne peut-on pas aussi entrevoir dans la fulgurance du geste de Patrice Giorda, le cri qui émane du profond de ses interrogations purement existentielles ? Son autoportrait nous fait songer à celui de Rembrandt bien étonné de n’être que lui-même ! Est-ce que André Cottavoz sculptant les traits de lumière dans la pâte n’est pas au coeur même des questionnements sur la beauté de la création, lorsqu’apparait l’esquisse de cette vision de femme dont il ne cessait de se rassasier ? Et comment ne pas suivre Hubert Munier lorsqu’il clame la beauté d’un modèle à l’échelle de ses délires explcites ? Et pourquoi ne pas voir dans les approches de René Mûnch cette froideur qui neutralise l’individu au point de le rendre étrangement familier ?
Et que dire de ce magnifique univers d’Erdeven Djess qui ratisse largement jusqu’aux confins de la folie de sa propre identité ? Quant à Sonny Meyer il dilue dans la spatialité de son horizon, le faciès de celle qui à été une étoile brillante entre ses doigts ! Paul Morellet joue avec les mots dans un sujet-rébus virtuose qui s’autoproclame ! Evaristo s’évertue a donner de l’âme un visage que l’on reconnaît pour être un instant le nôtre ! Tandis que Golay revisite sa mythologie, Marc Dailly équilibre son monde entre clair et obscur. Jean Couty quant à lui campe dans sa charpente le personnage qu’il a cotoyé. Il faut dire de Marie-Thérèse Bourrat qu’elle argumente sa toile dans la mise en scène de sa cage dorée, théâtre de sa propre condition. Etienne Morillon, Pierre Combet-Descombes, les fameux Ziniars oscillent entre les influences cézaniennes et baudelairiennes. Oui, choisi, le portrait embrase toute la cimaise de ses propres fulgurances et de ses secrets révélés.
Quand à l’autoportrait -exercice plus complexe et passionnant- si les hommes et les religions monothéistes ont un avis différent sur la figuration humaine et divine, j’ai souvent voulu trouver dans la représentation enfin dite du visage, l’impossible portrait de Dieu ! Blasphème diront certains ! Loin de moi cette pensée lors de l’exercice qui a tenté les artistes. N’est-il pas dit dans les livres sacrés « chaque fois que vous êtes en présence d’autrui c’est moi-même qui suis parmi vous ». Cela veut dire clairement que le Christ (fils de Dieu pour les uns ou Prophète pour les autres) est bâti comme nous tous, d’un corps, d’un coeur et d’une âme. Et comment ne pas prendre en compte le texte de Malek Chebel, qui dans son Dictionnaire des Symboles Musulmans (Albin Michel, 2001), écrit qu’Adam aurait été créé à l’image de Dieu. Avec de la boue, comme le Golem ! Il s’agit d’un hadith du Coran qui authentifie la présence matérielle, d’un être Tout-Puissant, dont on connait enfin les traits de l’immatérialité. Regardons à deux fois les portraits et autoportraits proposés pour y découvrir si non le fondement irréfutable de toute vie humaine, du moins ce qui en est la substance incontestée.
bernard gouttenoire, lyon le mercredi 13 mars 2013