Les encres de Gérard Breuil (Jean-Noël Dumont)

, par jacques

Une encre de Gérard Breuil est comme l’ombre accueillante d’un porche. Il faut s’effacer un peu pour passer le seuil qui bientôt cède sous le pas. Ouvert alors au pur espace, le corps s’accoutume et trouve ce qui convient à ses proportions, à son équilibre. Cette paix est celle d’une cellule peinte par Fra Angelico. C’est le moment de contempler.
DISTRAIRE, SOUTAIRE, ABSTRAIRE
Un artiste hérite de l’histoire qui le précède et doit en relever les défis. Depuis l’explosion des techniques de l’image, un de ces défis est la représentation qui est comme saturée d’effets, ivre d’un virtuel au réalisme déréalisant.
L’injonction d’être ému nous cerne et nous voici éclaboussés de couleurs intempérantes. Comment le peintre peut-il répondre à cette situation nouvelle qui lui est faite ? Comment nous rendre la présence dont on ne cesse d’être distrait ? Au peintre s’offrent deux voies : étreindre avec gourmandise la présence du monde, en célébrer encore l’exubérance, ou alors effacer toujours jusqu’à atteindre l’ultime simplicité.
La tâche du peintre désormais peut sembler non pas d’ajouter mais de soustraire, écrit Fabrice Hadjadj en évoquant précisément l’œuvre de Gérard Breuil.
L’abstraction de Breuil ne naît pas d’un rejet du monde sensible, elle n’est pas négation, mais ascèse. L’abstraction est alors une manière de se dépouiller de ce qui distrait. Bazaine le faisait remarquer : ce que l’on nomme abstraction résulte d’un contact plus profond avec le monde, quand le sentir est à sa juste mesure.
La pauvreté de la technique - l’eau et le noir de fumée - accompagne le geste parfait. Pas de projections instinctives, mais la main sûre et légère du lettré chinois, le geste attentif au crissement même de la brosse et du pinceau.
Si abstraire signifie soustraire, c’est que l’on est conduit à se rendre disponible au réel. Devant de telles œuvres on se lave de ses rêves et de ses vulgarités. Ce qui n’est pas montré n’est pas absent, dit Gérard Breuil.
L’attention, selon Malebranche, est la forme naturelle de la prière.
Jean-Noël Dumont. In Le Collège Supérieur