Didier Hamey est un chasseur-cueilleur, un glaneur-voyageur qui ramasse et amasse, çà et là, des images bribes du monde forestier, champignons, glands, pignes de pins comme lambeaux d’écorce ou myriade de brindilles et de feuilles, un matériau unique pour peindre le portrait des drôles d’habitants de la sylve primaire. Un fantastique petit peuple de la faune végétale nichant entre humus et canopée, dans l’ombre de la lumière.
Son travail ? Glaner, tel un shaman, des morceaux de forêt, des images oubliées comme des bouts de mots murmurés, des bruits miettes de sons étouffés, morphèmes et phonèmes dont l’assemblage syntaxique par la taille-fine va graver une novlangue faite de mots-choses, et dépeindre des dieux-objets que le chasseur intrépide a pu approcher seulement au prix de devenir lui même végétal, se fondant comme par magie derrière les arbres pour les observer avec la rigueur d’un entomologiste.
« Que de fois aux dernières lueurs du soir, ne m’arrive-t-il pas de le rencontrer lorsque, faisant la chasse aux idées, j’erre au hasard dans le jardin ! Quelque chose fuit, roule en culbutes devant mes pas. Est ce une feuille morte déplacée par le vent ? Non, c’est le mignon Crapaud que je viens de troubler dans son pèlerinage. » Comment ne pas penser à cette phrase de Jean-Henri Fabre, le poète scientifique, l’entomologiste du roman de la nature en voyant les animaux-végétaux de notre chasseur-cueilleur ?
Ces « personnages « sont comme des arcanes d’un jeu de tarot, figés vivants dans leur posture carnavalesque, rappelant que, dans le monde entier, le rite annuel des fêtes païennes n’a pour but que de renouveler le contrat social qui lie la nature et la culture, l’Homme et le « Sauvage ». En témoigne, de Sibérie au Pays basque en passant par la Suisse ou la Sardaigne, ces « Wilder Men » magnifiés par le travail du photographe Charles Fréger.
Ce sont eux qui, à la proximité des grandes forêts basques, on éveillé le projet de Didier Hamey pour sa résidence d’artistes à la Casa de Velázquez
à Madrid. Une drôle d’équipée en compagnie d’un Henri Michaux décrivant méthodiquement les barbares tribus imaginaires rencontrées lors de son « Voyage en Grande Garabagne » et d’un Miro griffonnant continuellement, au rythme de ses déplacements et des associations d’idées, ses personnages magiques entre les spirales de ses merveilleux « Carnets Catalans ».
Originaire de Dunkerque, clone fantôme d’un Charleville-Mezières pour ce Rimbaud des rimes forestières, notre pensionnaire de la Casa de Velázquez voulait entreprendre de grands formats d’icones sauvages mais cela aurait été un labeur trop long pour une simple année de résidence. Il choisit donc un petit format pour cette trentaine d’images. Comme il le dit lui même, il décide d’entreprendre » un abécédaire, un vocabulaire », un inventaire subjectif des peuplades inconnues de la forêt, des figures qui vont devenir, griffées par la taille-fine de la gravure, comme des dessins mescaliniens de Michaux. La violence du noir de l’encre renforçant la sensibilité expressionniste de l’artiste. A proximité du brut de l’art. Shamanisme toujours.
Charmants ou affreux ? Ces hommes sauvages, ces hommes des bois sont vivants mais, contrairement à Itard, ils n’ont pas été élevés par les loups mais par les arbres. Ils sont là pour rappeler la vaillance de notre imaginaire qui puise depuis notre enfance dans les aventures des personnages de contes. Dans ceux de Grimm, par exemple, les forêts sont toujours primordiales, il s’agit d’un monde à l’intérieur du monde, asocial, sans règle et même asexué dans lequel les personnages se perdent, rencontrent des créatures extraordinaires, subissent des sortilèges et affrontent leur destin.
Déjà, dans un exposé général sur les qualités des arbres, Pline l’Ancien affirmait lui que jadis les forêts servaient de temples aux divinités ; avant de résider dans des sanctuaires construits de main d’homme, c’est dans les forêts que les dieux habitaient. Et les personnages fantastiques de Didier Hamey nous remémorent qu’ils sont toujours vivants et surtout qu’ils n’ont pas changé de domicile.
Jean-Jacques Mandel. Paris. Mai 2017.