En 1976, Hubert Munier quitte son atelier du Beaujolais et décide de montrer sa peinture à Paris. Rencontre avec Albert Loeb. Entente. Sa première grande exposition personnelle, il la fera à Beaubourg en 1979. Depuis ses toiles font l’objet d’achats réguliers du Fonds national d’art contemporain. Depuis février et jusqu’au 24 mas, une exposition au Lutrin donne l’occasion de voir à Lyon un fragment de son étonnante création.
A 36 ans, Hubert Munier vit toujours retiré sur une colline de vignoble, contemple la plaine de la Saône et rêve, les jours de vent du sud, à l’apparition des Alpes sur la ligne d’horizon.
La montagne. Elle occupe ses toiles, les partage juste avec le ciel. Une montagne recomposée avec le soucis maniaque de la précision et la « folie d’un pinceau chirurgical ». Une montagne de craie, falaise blanche qui capte la lumière du midi, et aveugle, muraille tourmentée par des failles à « géométrie féminine », sommet érodé, aplani en forme de table, d’autel primordial. Depuis des années, Munier approche la montagne Sainte Victoire près d’Aix. Chemin initiatique qui interdit l’accès présomptueux au faîte. A peine a-t-il dépassé les premiers plans de plaine, surmonté la brume qui se lève. Il se retrouve bientôt au pied du mur, scrutant « l’insupportable paroi » convulsée à la manière d’un rideau du Temple qui cache l’Essentiel….Chaque tableau constitue une étape.
La Sainte Victoire hyperréaliste de Munier ne doit rien à Cézanne, elle traduit plutôt une pensée « paradoxale » Zen : « Au début, les montagnes sont des montagnes. Au milieu, les montagnes ne sont plus les montagnes. A la fin, les montagnes sont à nouveau les montagnes ». Selon notre attachement à la surface des choses, à l’énergie des profondeurs ou enfin à leur pure essence. Hubert Munier contemple, peint « des milliards de détails » sur des élans rocheux en grand format, et laisse la lumière éclater sur ce tout. Quand il aura atteint (peut-être) le sommet de son élévation plate, alors peindra-t-il un pic, pointe supérieur du triangle cosmique ? Munier élabore sa propre mythologie. Synthèse assurément : l’Inde et toutes les terres-mères accouplées au ciel, le territoire du grand Waconda, Esprit des Sioux et l’idée des centres du monde. Religion plurielle. La bible aussi. Sa peinture en devient œuvre de démesure, inspirée par la précision de la Renaissance allemande (Durer) et aujourd’hui par la couleur italienne. Dans sa terre d’enfance, il creuse le sol pour trouver les clés de la matière, vit dans un univers de secrets archéologiques, élève des cactus pour ce que leur image dit de l’énergie et de la création. En définitive, il traque l’immuable apparent qui interroge la mort. Une légende africaine veut que Dieu ait crée les hommes, les tortues et les pierres immortels, en perpétuelle régénérescence. Humains et tortues préfèrent enfanter au prix de la mort. Seules les pierres respectent l’accord initial et perdurent. Saisir cette dureté.
Au début, les montagnes de Munier sont d’extraordinaires paysages ou l’excès de réel entraine la fascination du rêve. Evidence de la beauté. Au milieu, ses montagnes ne sont plus des montagnes, mais de constants rendez vous avec le sacré : de l’évidence au questionnement infini. A la fin, elles emplissent simplement d’un grand bonheur.
Jean-Yves Loude - Télérama Mars 1984